Terrorisme au Burkina Faso : «Il doit être traité avec toutes les couches sociales sans exclusion aucune ni vouloir faire une chasse aux sorcières dans telle ou telle communauté» analyse de Alou DICKO

C’est une analyse qu’il propose comme sa reaction suite aux propos tenus par des invités sur le plateau de nos confrères de Burkina info lors de l’emission « dossier brûlant ».

« Le jeudi 12 janvier, la télévision Burkina Info a lancé une nouvelle hebdomadaire intitulée « Dossier brulant ». Pour cette première émission animée par Lassiné OUEDRAOGO, les invités avaient pour sujet à débattre « Les liens supposés entre terrorisme, ethnie et religion et comment sauver le Burkina d’une guerre ethnique ». Etaient invités le Pr Albert OUEDRAOGO, Secrétaire général de l’association racines, Kalifara SERE, Consultant en développement et en stratégies locales et Mahamoudou SAVADOGO, Spécialiste de l’extrémisme violant.

Alou DICKO, Expert en Médiation et gestion des conflit

Je tiens à remercier la télévision Burkina Info pour le travail abattu tous les jours par ses agents afin d’informer et d’éduquer sainement les populations des villes et campagnes du Burkina Faso. Je leurs adresse toutes mes félicitations pour la pertinence du sujet abordé dans l’émission, au regard du contexte actuel de notre cher pays le Faso.

Comme il est connu de tous « Prévenir vaut mieux que guérir ». C’est sûrement en vue de prévenir ce qui est craint par tout Burkinabè soucieux de l’avenir du pays à savoir une guerre ethnique et sensibiliser pour un changement de comportement qu’une telle émission a été initiée par cette chaine d’informations. C’est pourquoi les propos des invités devaient être très pondérés afin d’éviter de jeter de l’huile sur le feu. Je salue et je félicite les trois invités pour leur engagement à éclairer l’opinion publique et apporter leur pierre pour la construction de la nation.

Cependant au cours de l’émission à la suite d’une des questions du journaliste, je cite « Pourquoi les Peulhs se sentent aujourd’hui menacés au Burkina ? »
A cette question, voici les réponses de M Kalifara SERE. « Parce que c’est le groupe ethnique qui correspond au parfait portrait-robot du terrorisme. L’élite politique du terrorisme c’est les mouvements touareg et les mouvements fulbé. Il y a les Touareg qui ont des relations pluriséculaires avec les Peulh jusqu’au Jelgooji au Burkina. Il y a des chefs Peulh du Burkina qui intronisent des chefs Peulh au Mali et vice versa, il y a des Peulhs du Macina et des Peulh de MUJAO. Ces groupes armés sont des Peulhs, je n’ai rien vu dedans de ce qui n’est pas peulh »

Émission radio à l’occasion de la journée internationale de la tolérance en Novembre 2022 à Fada N’Gourma

A ces réponses qui m’ont intrigué, j’ai noté beaucoup de confusions et de contre-vérités. La confusion est que d’abord, il n’y a pas de Peulh de Macina et de Peulh du MUJAO. Le Macina est comme vous le savez fut un empire appelé aussi Diina fondé en 1818 par Sékou Amadou qui s’étendait de Toumbouctou au nord au pays moaga au sud, de la Mauritanie à l’Est à la région de Mopti tandis que le MUJAO(Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Oust) est fondé en 2011 par Hamada Ould mohamed Kheirou suite à une scission d’AQMI et dissout en Août 2013 à la suite de la fusion qui a donné naissance à Al- Mourabitoune. Les autres chefs de MUJAO furent Ahmed Al-Tilemsi, Sultan Ould BADY, Omar Ould HAMAHA, Cherif Ould TAHER, Abdel HAKIM, et Bilal HICHAM. Le socle ethnique de MUJAO comme on le constate est bel et bien arabe de la région de Gao et non Peulh. Donc on ne saurait faire un parallélisme entre le Macina et le MUJAO afin de charger la communauté Peulh comme actrice du terrorisme.

La contre vérité est qu’il n’y a aucun chef Peulh du Burkina qui intronise des chefs au Mali ou intronisé par ceux du Mali. Les différents Emirats Peulh du Burkina que sont Barani dans la Kossi, Thiou dans le Yatenga, Baraboulé, Djibo et Tongomayel dans le Soum et Dori dans le Séno ne sont ni vassaux ni suzerains de nos jours d’aucune entité du Mali et vice versa. Ils sont également indépendants les uns des autres. Il y a certes des liens historiques entre les Peulh de Hombori au Mali et ceux du Jelgooji mais pas d’interdépendance. Quant à la chefferie coutumière de l’Oudalan elle est composée de quatre entités indépendantes dont la chefferie du canton de l’Oudalan, la chefferie des Imrads de Gorom, la chefferie de Gougam et de Tinakof. Ces chefferies sont autonomes et ne sont vassales d’aucune entité coutumière ni du Burkina ni de l’extérieur. Ces chefferies sont très anciennes et constituées depuis les années 1600. J’aurais pu m’attarder sur l’historique des différents émirats mais point n’est nécessaire ici.

Atelier bilan du ”projet gestion et prévention des conflits en lien avec transhumance transfrontalière (Benin Burkina Niger)” mis en œuvre par A&P,GIZ,ZFD en 2017 au Benin

Au regard de cette réalité, il ne serait donc pas juste d’accabler la communauté Peul ou touareg du Burkina en liant tout, à ce qui se passe ou s’est passé au Mali. Certes il y a un effet de contagion qui est lié plus à la situation géographique qu’à des liens historiques. Un autre aspect qu’il faut savoir, c’est le fait que toutes les populations du Sahel ne sont pas peulh. Il y a des Sonraï, des Touareg, des Gurmaceba, des Mossé, des Bissa, les kouroumba et bien sûr des Peulh. La principale langue de communication est bien le fulfuldé comme le mooré dans tout le centre du Burkina et le Dioula dans l’Ouest et le Sud-Ouest avec sa mosaïque d’ethnies. Parlé couramment le fulfuldé ne fait donc pas des groupes armés des groupes constitués uniquement de Peulh. De même l’accoutrement ne saurait déterminer votre ethnie car il est plus lié au climat et à la culture du milieu. Aussi précisons même si la communauté Peulh est la principale actrice, elle en est aussi la principale victime, en témoignent l’assassinat des grands leaders à l’image du député maire de Djibo, de Grand Imam, des massacre de Solhan, de Seytenga… etc.

L’objectif visant à rechercher une réponse au mal qui nous assaille qu’est le terrorisme, la question qui mérite d’être posée de nos jours est celle-ci. Pourquoi cette communauté semble la plus visible ? Pourquoi les jeunes de cette communauté comme toutes les autres communautés se font enrôler dans les groupes armés ?

Alou DICKO en Conférence publique à Fada N’Gourma devant des centaines de leaders d’opinion venus des 4 coins du pays en décembre 2020

Au Burkina chaque région a ses spécificités. Au Sahel dans son ensemble et plus précisément le Soum considéré comme le noyau originel du mal que nous vivons aujourd’hui, il faut noter l’enclavement de la région jadis oubliée par l’autorité centrale en dépit, des ressources énormes (minières, animales hydriques…) dont regorge la région. Djibo abritant le plus grand marché à bétail de la sous-région a aussi sa particularité d’avoir eu des écoles franco-arabes depuis les années 1970. De ces écoles sont sortis de nombreux diplômés du niveau moyen voire supérieur et qui n’ont jamais pu trouver de l’emploi du fait de leur profil arabophone faisant d’eux des « oubliés de la nation ». Ce fut sans doute un des facteurs favorables à l’enrôlement de certains jeunes au sein des groupes armés qui exigeant, l’enseignement de l’arabe offrent l’opportunité pour ces « oubliés de la nation » de se faire valoir. Notons que beaucoup d’entre eux émargeaient au trésor libyen à l’époque du guide Mouammar KHADAFFI. A tout cela, il faut ajouter des facteurs d’ordre socio-culturel dont les détails ne prendront ici pour de temps. Passons alors cela sous silence.

Marche du 13 juin 2020 à Fada N’Gourma pour réclamer justice pour les victimes de Tanwalbougou

Dans la région de l’Est, région la plus vaste(46 000km2) du pays et enclavée regorgeant également d’énormes richesses, les facteurs qui ont favorisé l’enrôlement des jeunes sont entre autres les abus de certains agents de l’administration publique. Notons que la région possède les plus grandes réserves naturelles du pays. Elle a aussi été le théâtre de nombreux conflits agriculteurs-éleveurs qui se sont soldés par des pertes en vies humaines, destruction d’habitats de récoltes et abattage de troupeaux.

C’est le cas de Tibati dans la Kompienga en janvier 2015. Suite à un problème d’insécurité, la communauté peule des villages de la Commune de Pama est attaquée, et massacrée ; leurs habitations, récoltes, biens, bétail… sont saccagés, incendiés, volés ; +1300 déplacés à Kompienga. Tendangou/Pama (janvier 2014) : violentes représailles sur toute la communauté peule de Tendangou/Pama entrainant 421 réfugiés à Pama après le décès d’un paysan suite à une bagarre avec un éleveur. Des centaines d’enfants et de femmes, des personnes âgées chassées de leurs maisons incendiées, des animaux volés et/ou abattus, des récoltes brûlées, etc. Barimagou dans la commune de Kantchari en 2017(destruction d’habitats de nombreux déplacés à Kantchari). On peut aussi noter les accrochages entre agents des eaux et forêts et braconniers ou éleveurs transhumants.

Sensibilisation des communautés sur l’extrémisme violent

Tous ces conflits sont restés sans suite créant ainsi des frustrations et contribuant à dégrader le climat social au sein des communautés villageoises. L’intervention anarchique des Koglwéogo, venus du Centre-Nord, en Novembre 2019 dans le Gourma et la Kompienga a fini de dégrader le climat social dans la zone. Cette intervention a fait de nombreuses victimes poussant tous ceux qui ont eu la vie sauve à rejoindre les groupes armés. C’est depuis cette période que la région a basculée dans une insécurité totale.

Au regard de ces situations décrites et les responsabilités sont partagées (Administration, citoyen lambda) on peut dire que la réponse du mal dont nous souffrons n’est pas seulement militaire, mais il doit être traité avec toutes les couches sociales sans exclusion aucune ni vouloir faire une chasse aux sorcières dans telle ou telle communauté. C’est une question nationale qu’il faut donc aborder de façon holistique.

Je note en passant que la situation évoquée ici ne relève point des connaissances livresques mais celles du terrain. En tant que personne ressource, j’ai parcouru une bonne partie de ces régions en compagnie de certaines ONG.
Vivement la paix au Faso et partout ailleurs dans le monde !
Très cordialement bien à vous tous ! »


Alou DICKO, Administrateur des Lycées et collège en formation, Expert en Médiation et gestion des conflits, Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques